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Le
Monde Moderne
V" ANNEE
I. — 1.
REPRODUCTION INTERDITE
des ai'Licles et des illusLraLions.
DROITS DE TRADUCTION RESERVES
pour tous pays.
Le
Monde Moderne
T O M E I
Janvier - Juin 1895
PARIS
Albert QUANT IX. Éditeur 5, Rue Saint-Benoît, 5
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in 2010 with funding from
University of Ottawa
http://www.archive.org/details/lemondemoderne01pari
LE MONDE MODERNE
... Il faul cijiuljaUic le coiiihaL du rrt)grè.s, mais aii-clessus tics baLailIcs, des douleurs et des joies, dominant la vie où tout est relatif, subsiste l'AUT, consolateur immortel...
...Et la jeune Vénus, fille de Praxitèle,
Hourit encor, debout dans sa divinité,
Aux siècles inijmissants qu'a vaincus sa hrauté.
FETITE OOR.j^
I j mince corps souple, ces lig^nes juvéniles
I apparaissant sous la transparence des
Le petit modèle, charmante sous le | étoiFes d'autrefois,
f^rand chapeau du Directoire, avec la ! — Oh! monsieur Georges, c'est joli,
jolie robe collante à rayures roses, les cheveux noirs un peu crépus, ébourilïes, hochait la tète pendant cpie le peintre caressait sur la toile les contours de ce
bien joli, ce costume: mais ce n'est pas comme ça que j'aurais voulu être peinte I Elle disait zoU, avec un doux ac- cent créole, un grasseyement léger, très
PETITE COR A
tendre, et do grands yeux noirs mélan- coliques dans un visage d'enfant arabe, à la pâleur cuivrée.
— Ali ! ce n'est pas comme ça ! El comment auriez-vous voulu être peinte, mademoiselle Cora?
Les prunelles tristes du petit modèle devinrent ardentes tout à coup, — avides devant un rêve évoqué, — et Cora ré- pondit, la voix tremblante :
— Oh 1 ce que j'aurais voulu ! C'est en sœurdecharitéquej'aurais voulu me voir!
— En sœur de charité?
— Oui; avec ces grandes ailes blanches qui battent des deux côtés de la tigure. C'est si beau, celte coiffure, si beau ! Et sœur de charité, c'est si bien d'être sœur de charité!... J'aurais voulu être, moi, sœur de charité, au lieu de...
Elle s'arrêta , et à ses yeux noirs montèrent de grosses larmes.
— Cora, si a'ous pleurez, ma petite Cora, vous n'aurez plus l'air d'une mer- veilleuse du Directoire!
C'était dans l'atelier de mon jeune ami Georges, à deux pas de l'église Saint-\'incent-de-Paul dont les deux tours apparaissaient par la grande baie vitrée, détachant leurs silhouettes grises sur un beau ciel bleu, un ciel de mai, léger, chargé de vie. Les yeux profonds de la petite Cora le regardaient, ce ciel de printemps, et regardaient aussi ces tours grises, nettement découpées, et cette horloge qui sonnait l'heure de l'église, et sous le chapeau rose du Directoire elle hochait toujours sa tête de petite Afri- caine, tandis que le pcinlrejetaitdansun gai tableau représentant, sous une ton- nelle fleurie, des muscadins et des mer- veilleuses attablés devant des sorbets, avec des chaises vertes, des étoffes rayées, un fouillis de couleurs claires, de che- veux blonds, de bas chinés, d'écharpes, d'évenlails, de sourires, et, au fond, Paris, le grand Paris révolutionnaire vaguement entrevu à travers la brume et grondant sourdement aux pieds, aux pelils pieds des muscadines riant là, du haut de la bulle Montmartre ou de la collinede I^elle\ ille...
Le petit modèle était loin, très loin du tableau où elle figurait. Son regard, dont la mélancolie semblait toute pleine d'un infini désert, devenait fixe en s'arrèlanl sur les tours de l'église.
— Sœur de charité!
Ses lèvres, d'un rouge anémié, ses grosses lèvres dont l'ourlet un peu renflé formait un dessin classiquement pur, ses lèvres les répétaient tout bas, ces mots qu'elle avait prononcés tout à l'heure très haut avec l'expression d'un ardent regret : sœur de charité!
— Et comment va la santé? demanda lepeintre, tout en continuant son tableau, assis sur son tabouret, à la petite Cora debout à quelques pas de lui, dans la lumière.
— La santé, monsieur Georges? Eh bien, elle ne va pas mal, la sanlé!... Je elbois que je m'en sortirai! Le médecin m'a donné une potion, avec de l'élher, qui me fait du bien. Je dors mieux...
Elle toussa un peu, ajoutant très vile comme pour se faire pardonner — ou s'illusionner elle-même :
— J'ai encore une toux, mais si mince!... Oh! ça va bien, monsieur Georges, ça va bien du côté de la santé... Ce qui ne va pas...
Elle s'arrêta, essayant de sourire et son visage enfantin, le nez tout j)elil, les oreilles mignonnes, son visage exo- tique exprima une tristesse navrante sous l'effort du rictus :
— Ce qui ne va pas, c'est la lêle!...
— Ou le cœur. \'ous pensez donc tou- jours à lui?
— Toujours, oui, toujours! El tou- jours j'y penserai, répéta la petitecréole, qui gentiment prononçait : touzours.
Ah! le roman de la petite Cora! Il y avait un roman, dans cette jolie tête pâle, dans ce cceur de femme-enfant il y avait un rêve, une souffrance, et la vie avait louché durement ce modèle au regard mélancolique! Le vent d'amour avait soufflé sur ces cheveux noirs, un ])en crépus, allrislé ces lèvres chariuics faites j)Our les baisers et le sourire...
Oui, il y avait de par le nionde (|uel-
PETITE COHA
quuii qui pour elle était lui, ce lui vers qui sa pensée allait et irait touzours, un /ui qui Favait oubliée, sans doute, qui ne se souciait plus d elle, un lui dont elle ne savait que le petit nom, Pierre, un nom répété tant de lois, doux pour elle comme une caresse, adoré, ce nom, tout ce qui lui restait dun passé qui n'était pas bien vieux, car, en vérité, quel âge avait-elle la petite Cora? Dix-huit ans! — Mais, disait-elle tristement, on est vieille à dix-huit ans, chez nous ! Sur- tout — et son rictus essayait encore de corriger ce que ses paroles avaient de navrant — surtout quand on n"a pas eu de chance !
II
— Ce qu'il était. Monsieur Pierre? (Elle l'appelait encore Monsieur, comme lorsqu'il lui avait adressé la parole la première fois, là-bas, à la Réunion.) Ce qu'il était! Lieutenant dans l'infanterie de marine! Et si gentil! Si bon! Petit comme moi, très blond, la moustache mince, relevée, et que j'avais plaisir à friser, du bout de mes doigts, quand il voulait bien. Nous nous étions aimés tout de suite, car les façons, pourquoi en ferait-on quand on est libre et qu'on sent bien qu on se plait? Plus de parents. Je restais là-bas chez une vieille tante qui voulait faire de moi une modiste. Ah! la bonne idée! Ils sont jolis, les chapeaux qu'on fait dans l'île!... Alors comme j'étais libre, je vous dis, je m'étais donnée à Pierre, ne me demandant pas et ne lui demandant pas s'il m'épouserait, je me disais seulement : « Puisqu'il m'aime, il fera bien de moi sa femme, je n'ai aimé que lui, je n'aimerai que lui, je suis une honnête fille comme il est un honnête homme! » Et je l'aimais, oh! de toutes mes forces, de tout mon cœur! Quand il m'avait à son bras, lui si gentil, quand je m'appuyais contre les galons d'or de sa tunique, je me sentais plus fière que si on m'avait nommée présidente de la République. Il y a de l'infanterie de
marine casernée dans le faubourg Pois- sonnière. Quand je passe devant pour ve- nir rue I.afayolfe, je m'arrête, monsieur Georges, et je les regarde, ces uniformes, ces épaulettes jaunes, et je me dis : « Je vais peut-être l'apercevoir, lui! » Quoi- qu'il ne soit pas à Paris, j'espère toujours, et quand j'ai regardé un moment les petits lUrirsouins, — vous savez, on les appelle comme ça, c'est lui qui me l'a dit, — je ne garde pas longtemps les yeux secs. Tout le passé me revient.
C'est vrai, je revois l'île, la mer, les bateaux de là-bas, notre ciel, nos arbres. Tout cela quand un fantassin passe. Ils n'ont pas, ici, l'uniforme blanc des tro- piques. Mais ce sont eux, les marsouins de chez nous, ses soldats! Alors je rêve! Puis je me dis : « Tu es bête, ma pauvre Cora, tout cela est Uni ; tu n'es plus au pays, tu es à Paris, et c'est triste, Paris, et c'est dur d'y vivre ! »
Ah! je regrette le temps où je lui servais d'interprète à lui, car j'ai fait campagne, j'ai fait colonne avec l'infan- terie de marine, à Madagascar, et j'aimais ça, le danger, les fatigues ; il avait sous ses ordres les volontaires de la Réunion, à Farafate, et j'ai marché contre les Hovas, oui, moi, et je n'avais pas peur, non, je vous jure. Ça m'amusait, la ca- nonnade à Majunga, et aussi quand les fusiliers marins attaquèrent au bord du Bonnamary. Et il fallait entendre sifller les balles. Pss! Pss! Mais qu'est-ce que cela me faisait, les balles? J'étais avec lui.
Ses hommes l'adoraient comme moi. Le lieutenant! Oh ! quand ils avaient dit le lieutenant, on aurait cru qu'ils avaient parlé du bon Dieu ! Partout où il leur disait d'aller, ils allaient. Il les lançait dans la brousse et, les dépassant, il mar- chait le premier. Lui pas très grand, moi toute petite à côté de lui, nous disparais- sions presque dans les herbes. Quelque- fois, nous cachés là, je l'embrassais, pendant les coups de feu. J'avais un gri gri que m'avait donné un sorcier du pavs. Cela nous a préservés de tout. Le capitaine, qui m'avait autorisée à suivre la colonne comme interprète, mourut du
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PETITE CORA
tétanos, un soir. Il avait reçu une blessure dont il disait « : Ce ne sera rien » ; — et il marchait toujours. — Pierre le soignait mieux qu'un chirurgien. Le capitaine mourait en disant : « C'est affreux! allreux!... Cre\er là! Non, c'est face à l'Allemand que j'aurais voulu mourir!... Ah! ce pays! Chien de pays!... Lieute- nant, je vous confie nos hommes. Rame- nez-en le plus que vous pourrez en France, de ces braves garçons! » J'en- tends encore celte voix du capitaine, ce râle : « Crever là ! crever là ! » Et comme, tout bas, je lui disais, à Pierre : « C'est alFreux, c'est vrai », il me i^épondait gra- vement, lui qui riait toujours : « Qu'est-ce que tu veux? C'est le devoir! »
Je pense encore à tout cela et je me dis : « Tout de même la fatigue, les balles, le manque d'eau, la brousse où se cachait la mort, les nuits où l'ennemi guettait, c'était le bon temps ! Je voudrais revivre ces heures-là!... Elles sont si loin! »
Et, un beau jour, la colonne rentra à Tamatave.
On avait laissé le capitaine dans un trou, très loin, avec d'autres. Pierre était le chef et revenait tout joyeux, aussi- noir que moi, par exemple, brûlé du soleil, et le gouverneur lui lit des com- pliments, ah! des compliments, comme dans les livres!... J'étais folle de joie, moi, de ce succès-là. Je lui disais : Ils vont te nommer au moins colonel! — Un lieutenant, y penses-tu! Tu es donc bête, ma petite Cora? — C'est vrai, j'étais bête; mais on l'aurait nommé général là, tout de suite, j'aurais trouvé cela juste!
Si je m'étais doutée que cette campa- gne allait me séparer de lui et qu'on le rappellerait en France, à Paris, sous prétexte d'avancement! C'est pourtant ce qui arriva. Il me l'annonça un matin, tout rayonnant, sans voir que je devenais triste... Il parlait pour la France. Ça l'élonnait (le me voir aux yeux des larmes. Probablement en arrivant il trouverait, disail-il, sa nomination pour la croix à V Officiel. J'étais contente parce
qu'il était content, mais j'étais désolée aussi, ah! oui, bien, bien désolée parce qu'il ne devinait pas toute la peine que j'avais malgré sa joie... à cause de sa joie, qui sait?
Il ne pouvait pas m'emmener, à ce qu'il parait. Impossible. Un navire de l'Etat, ce n'est pas comme la brousse, on ne peut pas s'y cacher, non. Alors je me disais : « Où est la brousse, où est-elle avec le danger, les coups de fusil, les Hovas, le tétanos? C'était meilleur! » — Mais, au moins, s'il ne pouvait pas m'emmener, il m'écrirait. Oh! pour ça, oui! Il me le promettait. Est-ce qu'il oublierait Cora, petite Cora?
— Si j'avais du talent, tu serais ma Rarahu !
Il disait ça, je ne comprenais pas. J'ai compris depuis. Depuis que vous m'avez prêté le livre, si joli.
11 disait encore en m'embrassant ;
— Tu es à encadrer avec ta frimousse si drôle et si... si...
Oui, il disait : Charmante!... A enca- drer ! J'étais destinée à être modèle, mon- sieur Georges, vous voyez! Oh! cela lui faisait gros cœur de me quitter, je le sentais bien ! J'avais beau lui dire :
— Cache-moi quelque part, emporte- moi, tu emportes bien tes bibelots? Elle se fera si petite, si petite, toute toute petite, ta petite Cora ; on ne la verra pas !
— Non. Toujours la même réponse : « Tu es bête! » ou : « Tu es folle! « Oui, c'est vrai, on est un peu tout ça quand on aime trop !
Et puis, voilà, le jour vint où le bateau l'emporta. Le départ, le dernier baiser, la dernière prière faite tout bas dans l'oreille: « Tu m'écriras! lu m'écriras! » La dernière caresse de sa moustache blonde sur ma bouche : « Oui, oui, petite Cora, oui, petite Cora, je t'écrirai! » Et puis cette barque qui l'emmène, son der- nier geste de la main, ce bateau où il monte et où il disparaît comme si un gros requin l'avalail. VA puis encore le bateau qui s'en va, s'en va, devient tout petit, la vapeur qu'on ne voit plus, le baleau même qui est un point , un tout
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petit point, qui rapetisse, rapetisse | seule dans le monde, sur cette terre
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encore, et puis rien, plus rien! Plus de 1 où je n'avais plus personne à aimer! Pierre'. Plus damour'. Petite Cora toute 1 D'abord, je nie disais : « Il reviendra. »
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PETITK COHA
Ou encore : « On oublie! 11 paraît qu'on oublie I... » Mais les jours passaient et je n'oubliais pas, et il ne reviendrait jamais ! Alors si vous saviez comme je devenais triste! Plus de goût à rien. Un einuiilourd, lourd comme unjourd'orage de chez nous, et des envies de mourir, des étoullements de tristesse; Mourir, oui, j'y ai songé plus d'une fois, allez, et sans poser, parce que j'étais trop malheu- reuse de vivre sans lui. Puis, dans ma tête, une idée entra, une idée folle, une idée fixe, le retrouver, aller en France puisqu'il était en France. Et sou par sou, travaillant comme je le pouvais à des chapeaux, me voilà économisant le pas- sage sur le paquebot qui va à Marseille. Oh! la dernière classe! Avec les colis et les pauvres. Qu'est-ce que came faisait?
Vous allez rire, je médisais : « A Paris, l'infanterie de marine est à Paris! Je l'y retrouverai bien. » Et savez-vous com- ment je comptais retrouver Pierre? Sur la grand'place. Oui, ce Paris, je me le figu- rais comme un grand village où il y avait, ainsi que chez nous, une grande place où se tenait le marché, où l'on faisait de la musique, où l'on se rencontrait en se promenant.
Ouand je répétais, sur le bateau : << Je vais chercher quelqu'un sur la grand'- place, à Paris », on riait de moi, on croyait que je plaisantais. Mais je laissais rire. J'avais mon idée, je la voyais de loin, la grand'place, et Pierre s'y pi'o me- nant, le sabre au côté, avec son joli casque de toile blanche.
Et c'est comme v<i q»c je suis venue à Paris, ne restant même pas un jour à Marseille, arrivant ici tout de suite et demandant, dans le petit hôtel, près de Mazas, où j'étais descendue, mon pauvre mince bagage à la main :
— La grand'place, s'il vous plaît?... Où est-elle, la grand'place?
Vous devinez si la logeuse et ses gar- çons ouvraient des yeux. La grand'place? Mais il y en avait plusieurs. La |)lace de la Concorde, la place Royale, la |)lace de la Madeleine, la place de la Képu- blique... l'^l tl'autres. Tanl de maisons.
tant de places! El toutes ces rues, tous ces boulevards! 11 me faisait peur, à pré- sent, Paris. Où étais-je venue, mon Dieu? Comment trouver Pierre dans ce village qui était un monde?
J'allais çà et là, je cherchais, j'inter- rogeais. Et je voyais bien qu'on me prenait pour une pas grand'chose. Au ministère, on me dit : « Avez-vous les noms, prénoms, état de services, de ce Pierre? » — Non, je n'avais rien. Je l'appelais Pierre, et je l'aimais, voilà tout ce que je savais. Je m'étais pré- sentée dans les bureaux, à la caserne même, la Nouvelle France on l'appelle; mais j'y avais été si mal reçue, comme une rôdeuse, une on ne sait pas quoi, que je n'osais plus y retourner... Non, je n'y suis plus retournée... Les épaulettes jaunes, quand je voulais les interroger, dans la rue, riaient de moi ou voulaient rire avec moi, ce qui est pire... Alors je me dis : « Attendons, compte sur le hasard, ma pauvre Cora! » Ça a l'air bête et ça a l'air fou, n'est-ce pas? Eh bien, c'est vrai, j'étais venue me jeter à ce grand Paris sans savoir rien de plus et sans avoir autre chose en poche que soixante-cinq francs, qui iilaient vite...
Ah! quand je rentrais, le soir, rue de Lyon, dans ma petite chambre, si triste avec son papier déchiré, je regrettais souvent la Réunion et même Tamatave. Et je pleurais. Mais voilà, essuyant mes yeux, je me disais : (( N'importe, Cora, tu as bien l'ail de venir. Tu le retrouveras. Au milieu de tous ces gens qui passent, tu le retrouveras un jour ou laulre. Du courage, ma lille! » Et j'en avais, du courage. Parmi tout ce monde où je ne connaissais personne, je me faisais l'elTet d'un caillou tombé dans la mer. Puis, comment vivrais-je quand j'aurais dé- pensé mon dernier sou? Des chapeaux, je n'en savais pas faire d'aussi jolis que ceux (pii m'ait iraient (|uand je passais devant les bouticpies. J'avais des peurs quand j'y songeais! l']t puis, cccpiartier, le soir, où des rôdeui's, quand je rentrais, me disaient dun ton si inquiétant, cpiand
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je passais devant un bec de j;az : o Bon- soir, la moricaude !» ou : « Eh 1 grain de café! Gentille tout de même! »
Sans le retrouver, ni sur la yrand'place, vous comprenez, ni ailleurs, j'arriAai comme ça à n'avoir plus de quoi payer ma chambre, à me demander comment je mangerais demain et si je ne me flan- querais pas à l'eau ce soir. C'est vrai, monsieur Georges, j'en étais là! Et je le dis à la logeuse, m'excusant de ne pas la solder, la priant d'attendre. Je me pré- senterais à toutes les modistes. Je trou- verais bien de l'ouvrage. Après tout, j'étais adroite. Mais quant à m'en aller de Paris sans l'avoir revu, lui, non, je ne voulais pas, je ne voulais pas! Ah ! à au- cun prix, ça, par exemple!
C'était une brave femme, la logeuse. Elle me dit comme cela de compter sur elle. Elle verrait, tâ- cherait de me caser. Et, de fait, c'est elle qui m'a empêchée de mourir de faim, mais comment?. .. Oui, voilà : il y avait parmi ses locataires un ancien directeur du théâtre de Gher- chell, ou de Blidah, ou de Biskra, enfin, je ne sais quoi, une ville en Algérie. Il était venu à Paris avec toute une car- gaison de costumes arabes, de robes de gaze, de foulards, de colliers de sequins, de babouches de pacotille, et deux grosses juives d'Alger, deux steurs, je crois, qu'il traînait à Paris en leur disant qu'il voulait fonder un concert algérien à l'instar des musicos tunisiens de la rue du Caire... M. Castelbiel cherchait un local et une troupe... Le local, il l'avait trouvé, faubourg Saint-Martin. Une petite bras- serie qui venait de faire de mauvaises
alfaires. On la décorerait d'étoiles algé- riennes, on draperait, au fond de la salle, quelques planches qui formeraient es- trade.On mellrait surla porte, (mi peignant des croissants dorés et des caractères
arabes : Concert du Prophète. Boissons et danses de premier choix. Et les deux juives, en costumes de leur pays, chan- teraient des chansons algériennes...
Mais elles ne pouvaient pas danser, les deux grosses personnes massives. Ou elles danseraient mal. « Trop de ventre, disait M. Castelbiel lui-même. Avec elles, la danse du ventre serait la danse des grosses caisses ! » C'est alors que le direc-
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leur du Concert du Prophète sonj^ea à moi, qu'il avait vue passer, et eu parla à M""' Souveraiu, la loj^euse. Est-ce que je ne voudrais pas entrer avec lui dans la brasserie du faubourj; Saint-Martin? Cent sous par jour, des costumes de, choix, et pour cela il me suClisail de danser.
— Mais, madame, disais-je à M""' Sou- verain, qui m'en parlait, je ne sais pas danser, moi IJe n'ai jamais dansé ! Jamais !
— M. Castelbiel prétend qu'il ne faut pas savoir danser pour danser la danse du ventre. Il déclare: il suffit de donner un torticolis à son corps.
— Mais, madame, la danse du ventre, pensez donc!...
— Oh ! ma chère petite, répondait M"® Souverain, l'année de l'Exposition, c'était tellement à la mode que toutes les grandes dames du faubourg Saint-Ger- main la dansaient chez elles pour être agréables à leurs invités !
Elle me disait tout cela, qui m'éton- nait un peu, et elle me troublait en me répétant, ce qui est vrai, qu'on ne trouve pas facilement cinq francs par jour. Et puis M. Castelbiel arriva là-dessus. Un Marseillais, tout feu, tout ilamme, et parlant fort et parlant tout le temps!
« Savez- vous bien ce que je vous offre, mon enfant? Ce n'est pas seulement la vie assurée, c'est le premier échelon vers la gloire 1 A Paris on arrive à tout, pourvu qu'on débute. Vous êtes jolie, vous avez un type, — oui, un type; — qui sait si, en dansant au Concert du Pro- phète, vous ne faites point le premier pas vers les planches de l'Opéra? Marie Sasse — vous avez bien entendu parler de Marie Sasse — est sortie d'un concert du faubourg du Temple pour entrer à l'Académie impériale de musique! Qui sait si vous n'y entrerez pas de même, maintenant qu'elle est devenue natio- nale? (Oh! je me rappelle tout ce qu'il me disait.) Vous ne savez pas danser, assurez-vous? Erreur! toutes les femmes savent danser, comme tous les canards savent nager. La danse fait partie des charmes de la femme. Vous n'avez jamais
dansé la danse du ventre? Eh bien, vous ferez semblant de la danser. Nous dan- serez des bras, vous danserez des épaules. Avec vous, ce sera toujours bien. Elles étaient moins agréables à voir que vous, les aimées de la rue du Caire! Et puis vous aurez un si joli, si joli costume ! De la gaze, une ceinture d'or, des pantoufles roses! Vous voulez retrou\'er à Paris quelqu'un qui vous est cher? Mais c'est un moyen de le retrouver, précisément. C'est même le meilleur moyen. Il doit aimer l'art, votre inconnu. Quand il verra annoncer l'ouverture du Concert du Prophète, qui nous dit qu il ne vien- dra pas faubourg Saint-Martin? Et com- ment voulez-vous qu'il sache que vous êtes à Paris? Une aiguille dans une botte de foin! Tandis que s'il lit sur une affiche, en grosses lettres — la vedette, je vous promets la vedette : Débuts de j\P^ Cora Berthier, danseuse orientale; je dis orientale pour ne pas tromper le public. Vous êtes Orientale, vous n'êtes pas Algérienne. Fatma et Medjé sont Algériennes... s'il lit celte affiche, par- bleu, il accourt, il vous ap|)laudit, il saute sur l'estrade, il >ous embrasse et vous l'avez retrouvé ! »
C'est vrai, j'ai dans 1 oreille toutes ces paroles de M. Castelbiel comme si je les entendais encore! Ah! langue de miel! L'idée que je pouvais, en mettant mon nom sur une affiche, retrouver Pierre, attirer son attention, le revoir, emporta tout. Tant pis! Je danserais. Je me met- trais des sequins dans les cheveux et je montrerais mes bras nus, sous la gaze. Et je dansai. Il paraît que M. Castelbiel a raison : toutes les femmes dansent bien, puisque je ne dansais pas mal. La danse du ventre, dans la fumée de la petite brasserie, avec les applaudissements accompagnés de bruits de cuillers sur le verre des bocks. Et, tous les soirs, dans cet air chaud, sentant le tabac, qui me prenait à la gorge et me faisait déjà tousser; tous les soirs, regardant la foule, du haut de l'estrade, pourvoir, à travers le brouillard, la poussière, s'il n'était pas veim, lui, attiré par la belle affiche où
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fif^urait mon nom, éciit très j,m-os, et si, parmi tous ces visages inconnus, je ne découvrirais pas le sien, celui de Pierre! Ah 1 bien oui! Javais beau chercher, aller d'une ligure à lautre, jamais je ne
sait-il, M. Brichanleau. Durer, mon enfant, il faut durer. Quand on dure, on a sa revanche. \'ous l'aurez, vous qui êtes jeune; je l'aurai, moi qui suis vieux! Pensez que j'ai joué la tragédie
l'ai vu, jamais. Et d'ailleurs, s'il était 1 avec Rachel en Amérique, moi'', venu, s'd avait été là, je n'aurais pas eu j j'étais tout gamin, — que je suis élève à attendre pour l'apercevoir, je l'aurais deviné. Avec mon cœur, sinon avec mes yeux. Tout mon moi eût été à lui. Non, la danse du ventre, les tam
rins frappés ..^
par Fatma et Medjé , les chansons d'Al- ger accompagnant mes déhanchements, et voilà tout, pas de Pierre. Et je rentrais chaque minuit dans la petite chambre que j'avais louée faubourg Saint-Martin, plus triste qu'autrefois dans l'hôtel de la rue de Lyon où j'allais encore très souvent interroger M'"* Souverain : par hasard, — n"était-il pas venu me deman- der là, — est-ce qu'on sait?
Je n'étais pas heureuse, pensez! Il m'ennuyait, ce métier de saltimbanque! Mais, que vouîez-vous? il faut vivre. C'est ce que me disait un vieux comé- dien, M. Brichanteau, que M. Castel- biel avait engagé, et qui récitait des poésies entre deux de nos danses. M. Castelbiel appelait ça le numéro classique.
— Mais voilà le problème, me di-
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et émule de Beauvallet, mon professeur jaloux de moi, et que cependant, vous le savez, je dis des vers dans un café- concert, fidèle à Corneille jusque dans un caboulot. Résignons-nous, mon en- fant, patientons, croyons à l'art, nous avons l'avenir!
Et, comme je lui répondais que l'art, je ne m'en inquiétais pas, moi, et que la I danse du ventre, ce n'était pas mon mé- tier, ça, il répliquait — pai'ce que je lui I avais conté mon histoire avec Pierre : ! — Eh bien, vous aurez votre re-
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vanche, absolument comme moi 1 \'ous à dix-huit ans, moi à soixante! J'aurai la j^loire et vous aurez l'amour!
Pauvre M. Brichanteau , si bon, si paternel, me disant : « \'ous valez mieux que ça... comme moi. Nous sommes les otages du destin 1 Vous ridiculisez votre beauté par des torsions, je verse à la muse, au lieu d'ambroisie, des bocks de bière! » Il me faisait sourire, — oh! je ne me moquais pas de lui ! — il me con- solait.
Et voilà : les jours passaient, les mois, des mois qui n'en finissaient pas, et ils passaient comme si j'avais rêvé. C'était si long et ça allait si vite! Le Concert du Prophète ne réussit pas. On ferma les portes. M. Gastelbiel partit, allant on ne sait où, laissant sur le pavé les deux juives, sans compter M. Bri- chanteau. Lui, Brichanteau, se réfugia où il put, entra comme ligurant ta l'Am- bigu, je crois. Et puis on nous offrit, à Medjé, à Fatma et à moi, de danser au Moulin Rouge, toujours la danse du ventre, dans l'intérieur d'un grand élé- phant, d'un éléphant monstre, acheté à un établissement qui n'avait pas réussi pendant l'Exposition, le Pays des Fées. C'est là que vous m'avez vue, monsieur Georges, moi dansant toujours, — dans le ventre d'un éléphant, cette fois, — et toujours regardant s'il ne viendrait pas, si je ne le reconnaîtrais pas... Ah! je désespérais de tout quand vous m'avez rencontrée! Malade, d'ailleurs, avec une mauvaise toux prise là-bas, au Concert du Prophète... Puis, si ennuyée de dan- ser éternellement au son du même tam- bourin des deux grosses juives accrou- pies là et si bêles!... Aussi, quand vous m'avez proposé de poser pour vous, vous avez vu, oui, vous avez vu comme ça m'a fait plaisir. C'est vrai, ça me changeait. Je respirais un autre air. J'étoull'ais là-bas. Et puis j'ai mal là, dans la poitrine, ça me brûle. Je n'aime pas l'hiver, le brouillard de Paris; il me faut du soleil, à moi, vous compre-
nez. La chaleur de votre poêle, c'est bon, n'est-ce pas? Ça me réchauffe le . dos, mais cela me cuit dans la gorge un peu. Je voudrais qu'il fût fini, l'hiver, pour aller prendre du soleil à la cam- pagne, quoiqu'il soit bien pauvre, le soleil de France, à côté de celui de chez nous! Mais, du soleil, ah! du soleil, quel qu'il soit, j'en ai soif, j'en ai besoin !
Et, pendant qu'elle parlait, la petite Cora, ses yeux, — ces grands yeux noirs où de l'alanguissement navré traînait comme de la brume, — ses yeux s'ani- maient, s'allumaient. L'espoir de revoir du soleil les enflammait comme si l'idée même de ce soleil, de cette chaleur et de cette clarté fût liée à l'image de l'officier disparu, de ce Pierre cherché dans la grand' place , du cher et doux Autrefois resté là-bas, si loin, au delà de la mer immense !
Puis, un sourire d'enfant, un désir d'enfant, venant tout à coup à cette pe- tite tête de créole frêle et anémiée :
— Oh ! et puis ce que je voudrais aussi, je vous le répète, oui, ce que je voudrais, ce que je voudrais tant et tant, c'est mon portrait en sœur de charité! Etre sœur des pauvres, j'au- rais aimé ça, moi !
— Votre portrait, petite Cora, avec la coiffe blanche, vous l'aurez!
— Vrai?
Elle frappait des mains, toute joyeuse, comme une toute petite à qui l'on eût promis un jouet.
— Oui, vous l'aurez!
— Tout de même, voyez, voyez comme on est drôle! dit-elle, tout à coup redevenue mélancolique. Piei're! oui, Pieri'e! Je ne le reverrai plus, je ne le retrouverai pas, c'est sûr! Eh bien, l'idée de me voir en sœur de cha- rité, ça me console. Il y en avait, là-bas, des sœurs de charité, qui soignaient les soldats de France quand ils mouraient d'une insolation, dune colique ou d'une balle. Il me semblera que c'est moi qui le soigne !
PETITE COR A
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III
J'avais, de cette vision de la petite Cora, de ce petit corps grêle et exquis, de ces yeux profonds, si tristes, de cette douce voix zézayante, de cette lille d'Afrique costumée de la robe de soie d'une niuscadine, emporté un souvenir touché, tant il y avait de charme tendre, de résignation fataliste dans cette jolie créature qui, pour retrouver l'ami perdu, s'était livrée aux hasards de la vie de Paris, comme un chien se fût jeté à la nage pour suivre son maître emporté par le bateau, — et qui, par- tant de là-bas, naïve, confiante, était tombée dans le brouhaha, le fourmille- ment, rengrenage de ce monstre qu'est Paris, en disant :
— Connaissez-vous un gentil oflicier blond qui s'appelle Pierre, et où est la grand'place du village que je l'y re- trouve ?
Pauvre fdle! de la sœur de charité, elle n'avait pas seulement l'appétit du costume, elle avait aussi la vocation et le cœur. Puis je l'avais à peu près ou- bliée, souriant parfois cependant, quand j'y songeais par hasard, de cette folie de conlîance qui l'avait poussée à traverser les mers pour courir après l'amour. Un soir, à la Porte-Saint-Martin, dans Cléo- pAlre, parmi les esclaves groupées au- tour de la reine étendue sur sa ter- rasse, allongée comme un serpent au soleil, je crus reconnaître le petit mo- dèle de l'atelier ami , et la regardant plus longuement à la lorgnette, je la retrouvai, en elï'et, la petite Cora, non plus sous le costume de soie rayée de la merveilleuse^ mais entourée caressée des plis transparents dun vêtement de danseuse égyptienne, des ornements d'or au front, aux poignets, aux che- villes; et pendant que la reine alanguie suivait d'un œil morne, au fond du ciel bleu, comme un vol d'ibis, son insa- tiable rêve, la danseuse d'Egypte dan- sait, sur un air monotone et lent, cette danse de la rue du Caire, qu'elle avait mimée et dansée, pour vivre,
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dans le cabaret fumeux de Castelbiel.
Cora! la petite Cora ! le petit modèle qui avait pour chimère de se voir peinte en sœur de charité! Elle m'apparaissait là, transformée, son teint brun éclairé parla rampe d'une lueur pâle, et les tor- sions de son mince corps de créole don- naient vraiment la sensation d'une aimée d'Egypte à ce public accouru là, et qui ne se doutait guère du pauvre ro- man d'amour qui attristait cette pâle petite tête aux cheveux dénoués et fai- sait battre ce petit cœur enfantin sous les vêtements de gaze et les maillots du costumier.
Et je me disais:
— Bah! maintenant roulée par la vie de Paris, emportée, prise dans l'engre- nage du théâtre, elle oubliera, la petite Cora ! Et adieu donc à l'ami Pierre !
Elle n'était plus sans doute la petite ignorante débarcjuant dans le grand vil- lage pour retrouver le bien-aimé; elle était la danseuse applaudie de Clèopâlre et j'allais rencontrer, quelque jour, sa photographie à la vitrine des papetiers.
Puis encore des mois passèrent, et plus que des mois, et j'avais oublié la petite danseuse, lorsqu'une lettre vint me la rappeler, lettre touchante, poi- gnante, écrite par elle sur un ton très doux de prière... Elle demandait une apostille pour une pétition qu'elle adres- sait au ministre de la marine.
Malade, poitrinaire, disait-elle, la mort à Paris lui faisait peur. Elle vou- lait retourner à la Réunion, revoir le pays, retrouver son ciel, le soleil d'au- trefois, la vie. Elle en avait assez de ce Paris qui la tuait. Elle avait peur de la misère et de ce qu'elle traîne à ses jupes trouées, la maigre mégère. Partir! Elle mettait, la petite Cora, autant de fièvre à vouloir partir qu'elle en avait mis à venir ici chercher Pierre. Mais voilà, pour partir, il fallait de l'argent. Elle trembl-ait de se retrouver, avec cette toux qui la minait et « ce mal partout » qu'elle avait, dans l'entrepont éloulfant du navire. Et elle sollicitait du ministre le rapatrie- ment, avec la grâce de nêtre pas mise
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PETITE CORA
à la troisième classe, de pouvoir hunier l'air libre de la mer et regarder, la nuit, les étoiles...
Le paquebot devait quitter Marseille
« rentrait, par son objet, dans les attribu- tions de M. le sous-secrétaire d'État des colonies, à qui, par suite, elle était trans- mise... ))
le 3 avril. Cora demandait à partir dès les jours froids de janvier. Elle savait sans doute que c'est lonj; à revenir, les réponses oflicielles. La demande de la pauvre fille ne re-ardait pas le mi- nistère de la marine; mais — comme on luirépondaiten style administratif— elle
l^'t, toussant, dans quelque chambre triste, la petite Cora attendait, vivant des quelques sous économisés depuis les soirs de la Porte-Saint-Marlin et se de- mandant si ses économies — et ses forces, pauvre tille — iraient jusqu'à ce mois d'avril, ce départ de printemps vers
PETITE COHA
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le soleil. Elle n'avait même plus le goût de poser pour son portrait en coiffe blanche... Sœur de charité?
— Non.
Trop fatiyuée. El trop niaiyre. Je serais si laide! Non, non, disait-elle, je vous laisserai ma photographie du temps que je pouvais me croire jolie. \'ous lui mettrez la coiffe blanche de la sœur et vous ferez le porti'ait de mémoire... A'ous me l'enverrez Ik-has!
C'est bien loin, là-bas!
Elle est partie, par ce mois d'avril, la petite Cora, partie pour le pays où est né son rêve. Ce fantôme d'amour qu'elle a poursuivi, elle le retrouvera encore là-bas, elle le retrouvera plus sûrement que dans les rues boueuses du grand villarje.
Et je pense souvent à elle, à celte fine tête d'enfant, à ces yeux rêveurs, à cette voix caressante de créole si douce, à cette supplication du petit modèle :
— Oh ! monsieur Georges, en sœur
de charité, c'est si zoli! C'est comme ça que j'aurais voulu être peinte!
Et je me dis aussi que, peut-être, sur l'oreiller blanc où la petite créole aura laissé tomber sa tête brune, quelque coiffe blanche de sœur de charité s'est déjà penchée, là-bas, — la grande coill'e qu'elle trouvait si jolie, la coiffe aux larges ailes de papillon blanc, — et qu'une voix de femme aussi douce que la sienne, une voix murmurante entre les ailes blanches aura dit tout bas au petit modèle, à la petite Cora si fatiguée, si fatiguée et fermant ses yeux pour toujours :
— Dormez, petite Cora, dormez bien!
Et elle se sera endormie ainsi, la petite Cora, sous l'aile de la zalie coill'e blanche, elle se sera endormie pour rêver du bon ami Pierre qu'elle cherchera encore sur la c/rand'place d'un plus grand village, de cet autre monde plus vaste encore et plus inquiétant que le nôtre : l'infini!
Rêvez toujours, petite Cora!
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POUR
FONDER UNE REVUE
Il existait en France, au 1'^'' mai 1894, 6,263 publications périodiques, tant à Paris que dans les départements. Dans le reste du monde, il y en a proportion- nellement davantaf,'e. Pour fonder une nouvelle revue, la première condition requise est donc un peu de folie.
peines que Ton prendra dans celui-ci. Ce don-quichottisme admis, encore convient-il, dans notre siècle utilitaire, d'avoir un objectif plus précis que des moulins à vent. Il faut une raison d'être, cette raison serait-elle illusoire. De tant de revues qui se publient, n'en est-il
Si Ton tient aux douceurs de la vie, au charme d'écouter pousser les feuilles du printemps, aux rêves dorlotés des lon^-ues nuits (riiiver, à tout ce ((ui con- stitue la sagesse, il faut avoir la cruelle philosophie dy renoncer. Entrer dans le cycle infernal de la presse, oublié par Dante parce qu'elle ne sévissait pas de son lenips, est le plus bel acte de Foi qui se puisse voir : évidemment, l'autre monde seul pourra récompenser des
^^;i„_^y S rue jaia/^ Qenotà
donc point qui rendent inutile toute tentative nouvelle?
Pour étreindrc une science aujour- d'hui, on est obligé de se spécialiser dans ses spécialités mêmes. Un histo- rien, un médecin, un agriculteur sont . condamnés à des publications particu- lières et qui vaudront d autant mieux qu'elles ne rechercheront pas d'autres agrémenls (pic leur utililé propi-c. l,c domaine de la littérature et de \'nvl
POUR FONDER UNI] RKVL'E
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exige, lui aussi, pour être bien connu, des études suivies, sans trop d'excur- sions sur les terrains étrangers. Les diverses industries demandent à être approfondies dans leurs détails.
Aucune revue ne saurait avoir la prétention de répondre à ces besoins multiples. Il lui faudrait des milliers de pages dont la plus grande partie serait incompréhensible à chaque catégorie de lecteurs qui ne trouverait son profit que dans quelques-unes.
Mais si les revues spéciales sont inéluctables, c'est un besoin impérieux de l'humanité de ne point s'isoler, et l'esprit veut être tenu au courant de la marche générale du progrès. // faut ax^oir des clartés de toutes choses. Pas trop, car le temps manquerait ; assez cependant pour comprendre des conver- sations, pour avoir la tranquillité de ne point garder des ignorances coupables, pour sentir enfin que l'on fait partie du Monde moderne.
jîite les éxénements et les idées avec une telle rapidité que la réflexion n'a
'^'"^n^
A'oici un premier besoin; il en est un second. Le tourbillon quotidien préci-
poinl le temps de naître. Les journaux du matin et du soir forcent votre pensée en même temps que votre attention : on ne sappartient plus. Les publications hebdomadaires se disputent également lactualité. Cela est